7 mars 2007
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Quelle baisse du chômage ?
Depuis que l’Insee a décidé de reporter au mois de septembre 2007 la publication des chiffres corrigés du chômage à partir de l’enquête emploi, la polémique autour de la véritable ampleur de la baisse du chômage observée en France, depuis mi 2005, ne cesse d’enfler.
Hier, le quotidien « Le Monde » a publié les résultats des calculs de trois experts, deux administrateurs de l'Insee et un salarié syndicaliste de l'ANPE, selon lesquels le taux de chômage en France serait plus proche de 9,5% à la fin 2006 que de 8,7% comme annoncé de concert par l'Insee et le ministère du Travail.
Les résultats des calculs des auteurs apparaissent, selon le journal « Le Monde » dans une note anonyme qui a été transmise au journal et à plusieurs économistes par internet.
Le taux de chômage serait de près de 1 point supérieur, 0,8 point exactement, au chiffre annoncé par l'Insee et le ministère du Travail. Cette correction des chiffres du chômage correspondrait à l’équivalent d’environ 200 000 demandeurs d'emploi supplémentaires.
L’ampleur de la diminution du chômage depuis le milieu de l’année 2005 se réduirait comme une « peau de chagrin », si les chiffres « corrigés » par cette note anonyme sont vérifiés ultérieurement.
Le gouvernement ne pourrait plus se targuer d’avoir initié une baisse soutenue et durable du chômage et l’opposition aurait davantage de grain à moudre dans les débats sur les effets de la politique de l’emploi de la majorité au pouvoir depuis 2002.
Depuis lundi 29 janvier, le collectif ACDC (« Les Autres Chiffres Du Chômage ») composé de chercheurs, de syndicalistes et d'associations de chômeurs, propose une révision « hard rock » (sic !) des statistiques du chômage.
Dans une note intitulée « Chômeurs et chiffres sous pression », ce collectif estime que la baisse du chômage s’explique davantage par les « sorties de liste » de l'ANPE que par les entrées dans l’emploi. Dans ces conditions, "sortir des listes signifie de moins en moins sortir du chômage".
Selon ACDC, les "radiations administratives", auraient augmenté de 39% par rapport à 2003-2004. Le collectif dénonce encore la hausse de 31 % des non-renouvellements "motivés" (chômeurs déboutés) et de 30 % les non-renouvellements "accidentels" (chômeurs dégoûtés).
Donc, selon ACDC, le report de la publication des données corrigées à une date ultérieure aux élections présidentielle, pourrait s’expliquer par la volonté manifeste des pouvoirs publics de masquer, pendant une période cruciale pour la démocratie, la vérité sur la baisse du chômage et sur les effets des politiques menées depuis au moins deux ans.
On en déduit aisément que l’annonce de la note « fantôme » apporte de l’eau au moulin de cette théorie du complot.
Sans, pour autant, porter de jugement définitif sur cette affaire parce que nous ne disposons pas de suffisamment d’informations, nous pouvons au moins prendre acte de cette éventualité.
Mais nous devons également tenir compte, dans un souci d’honnêteté du débat, de points de vue différents et plus nuancés sur cette affaire.
Ainsi, selon Matthieu Lemoine économiste à l’OFCE, les baisses du nombre de demandeurs d'emploi et du taux de chômage, ont été probablement d’une ampleur bien plus faible que ce que nous disent les données de l’Insee dont nous disposons pour l’instant.
Dans son article « Chômage : en attendant l’Insee » du Mardi 14 février 2007, issue d’une nouvelle série de notes publiées chaque mardi par l’OFCE et intitulée clair & net@ofce - une e-contribution des chercheurs de l'OFCE aux débats économiques et sociaux, Matthieu Lemoine montre qu’il « y a indéniablement une reprise de l’emploi : au total, l’année 2006 aurait enregistré 243 000 créations nettes d’emplois (compte tenu de la prévision fournie par l’Insee pour le quatrième trimestre), après 149 000 en 2005 »
« Ces créations nettes d’emplois suffisent-elles à expliquer la baisse du chômage (270 000 chômeurs de moins en 2006) ? Tout dépend du nombre d’actifs supplémentaires en 2006 » nous dit l’auteur.
M. Lemoine observe que « Le nombre d’actifs supplémentaires serait finalement d’environ 62 000 personnes et il faudrait donc autant de créations nettes d’emplois pour commencer à faire baisser le chômage (cf. tableau). Avec 243 000 emplois créés, le chômage aurait alors dû baisser de 181 000 personnes et non de 270 000 personnes. »
En milliers de personnes | 2006 |
« Sur-baisse » du chômage (8) = (7) – (6) | 54 |
Actifs supplémentaires en tendance (1) | -37 |
Effet net des départs anticipés à la retraite (2) | 45 |
Reprises de la recherche d’emploi (3) | 62 |
Actifs supplémentaires (4) = (1) + (2) + (3) | 243 |
Créations nettes d'emplois (5) | -181 |
Baisse du chômage attendue (6) = (4) – (5) | -270 |
Baisse du chômage estimée par l’Insee (7) | -89 |
Ainsi, « La « sur-baisse » du chômage, de -89 000 personnes s’expliquerait principalement par les radiations et reclassements effectués par l’ANPE (voir les statistiques sur les inscriptions), dans le cadre de la politique d’accompagnement des chômeurs impulsée depuis la mi-2005 » nous explique l’économiste de l’OFCE.
Enfin, en guise de conclusion, Matthieu Lemoine nous dit que la combinaison de ces « trois effets pourraient avoir fait baisser le chômage de 81 000 personnes. Si ces personnes radiées ou reclassées sont toujours en recherche d’emploi, les prochains résultats de l’enquête emploi pourraient conduire à réviser le taux de chômage en décembre 2006 de 8,6 % à 8,9 % de la population active. (…) la baisse du chômage est vraisemblablement moins forte que ne l’indiquent les statistiques actuellement disponibles.»
L’ampleur de la correction estimée par M. Lemoine et l’OFCE est donc sans commune mesure avec celle évoquée dans la note « anonyme » et relayée par « Le Monde » et celle estimée par ACDC.
Entre la correction « Hard Rock » et la correction « Soft », laquelle est la plus pertinente ?
L’avenir nous le dira. Mais en attendant l’avenir, il nous faut bien vivre le présent. Et le présent doit être le moment privilégié de débat sur les « projets » qui permettent de mettre en perspective l’avenir et non le moment de la polémique exclusive sur des statistiques, lesquelles ne sont que le reflet « artefactuel » du passé.
Dans l’hypothèse ou la correction envisagée par les « auteurs anonymes » et celle d’ACDC, serait plus proche de la réalité de la baisse du chômage, il faut bien admettre que 200 000 chômeurs de plus ou de moins ne change pas grand-chose au paysage observable sur le marché du travail.
On passerait de 2 352 000 chômeurs fin 2006 à 2 552 000 toujours fin 2006.
Sort-on du chômage de masse à 200 000 prés ?
Nous nous trouverions toujours très loin du plein emploi. Et c’est cela qui compte davantage me semble-t-il. A 200 000 prés, les chemins qui nous mèneront vers le plein emploi ne seront pas très différents. Si un programme de retour au plein emploi est efficace, il le sera à plus ou moins 200 000 prés.
Nous pouvons et nous devons, certes, nous interroger sur la pertinence des statistiques que nous utilisons car nous en avons besoin, mais nous ne devrions pas nous tromper d’objectif. Et il est possible qu’a trop polémiquer sur les chiffres du chômage, nous perdions du temps à débattre des moyens lutter contre le chômage de masse, à 200 000 prés….
C’est peut-être pour cette raison que lors du débat sur l’emploi que j’ai organisé à Pontault-Combault le mardi 30 janvier 2007 et intitulé « Comment retrouver le plein-emploi ? », nous n’avons pas vraiment abordé avec les intervenants, Christian de Boissieu, Eric Heyer et Guillaume Duval, cette question qui relève ma semble-t-il, bien davantage de la polémique que du débat
En effet, avec un taux de chômage oscillant entre 8,6% et 9,4 %, le problème reste fort préoccupant malgré la baisse observable depuis mi 2005 et le plein emploi n’est pas encore à nos portes.
A lire :
Débat du 30 janvier 2007 : Comment retrouver le plein emploi ?
clair & net@ofce, Une e-contribution des chercheurs de l'OFCE aux débats économiques et sociaux
« Chômage : en attendant l’Insee » par Matthieu Lemoine Mardi 14 février 2007