19 juillet 2007
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Dans un article du quotidien « Le Monde » publié le 20 juin 2007, intitulé « Le gouvernement veut faire la transparence sur les chiffres du chômage », on nous explique que « Matignon a annoncé, mercredi 20 juin dans un communiqué, avoir confié une "mission" à l'Inspection générale des finances, à l'Inspection générale des affaires sociales et à l'Insee " pour faire le point sur les modalités de calcul" des chiffres du chômage. Les chargés de la mission pourront consulter des experts et des économistes, précise le communiqué. Leur rapport est attendu pour la fin du mois de juillet. »
Visiblement, les effets de la polémique de printemps sur les chiffres du chômage sont passés par là.
Un bref rappel des faits s’impose. En janvier, l’Insee a décidé de reporter au mois de septembre 2007 la publication des chiffres corrigés du chômage à partir de l’enquête emploi. Ce report a suscité une polémique autour de la véritable ampleur de la baisse du chômage observée en France, depuis mi 2005. Début mars, selon les calculs de deux administrateurs de l'Insee et d’un salarié syndicaliste de l'ANPE, le taux de chômage en France était plus proche de 9,5 % à la fin 2006 que de 8,7 % comme annoncé par l'Insee et le ministère du Travail.
Ainsi, le taux de chômage serait d’environ 1 point supérieur (0,8 point) au chiffre annoncé par l'Insee et le ministère du Travail. Cette correction des chiffres du chômage correspondrait à l’équivalent d’environ 200 000 demandeurs d'emploi supplémentaires. L’ampleur de la diminution du chômage depuis le milieu de l’année 2005 fondrait comme la neige au soleil, si les chiffres « corrigés » par cette note anonyme sont vérifiés ultérieurement.
Fin mars 2007, Eurostat donne du grain à moudre à la contestation des données officielles en recalculant le chômage français sur plusieurs mois. En utilisant les données de l'enquête sur l'emploi dont l'Insee a décidé de différer la publication l'office européen des statistiques annonce que le taux de chômage a atteint 8,8 % en février, contre 8,4 % annoncé par l’Insee… Entre janvier 2006 et janvier 2007, le taux de chômage aurait baissé selon de 9,7 % à 8,9 % et non de 9,5 % à 8,4 %. La baisse serait donc 0,8 point et non de 1,1 point.
Certes, cet épisode a montré qu’on ne gagne pas une élection présidentielle en polémiquant inutilement sur quelques dixièmes de points de taux de chômage, cependant, de nombreux arguments qui ont pu être avancés au cours des débats houleux du printemps permettent de reposer avec force la question de la pertinence de la (des) mesure(s) du taux de chômage et du nombre de chômeurs.
Les 7, 11 et 30 mars, j’avais tenté de montrer dans trois billets successifs, « Symbolique et fétichisme des chiffres », « Urgences sociales et indépendance statistique », « Tintamarre autour des chiffres du chômage », que ce débat est fondamental et qu’il ne saurait être négligé. Pour autant, j’avais insisté sur le caractère déplacé du langage de la suspicion à un moment ou les questions de fond auraient dû dominer, largement.
Quels enseignements peut-on tirer de cette affaire aujourd’hui
afin de mieux mesurer le chômage demain ?
C’est à cette question que Matthieu Lemoine, économiste à l’Ofce tente de répondre dans une lettre publiée le 11 juin 2007 : « Chômage: débattre de la mesure ».
D’emblée, Matthieu Lemoine se pose les question suivantes :
« Pourquoi une telle confusion entre les différentes sources statistiques ?
Les résultats 2006 de l’enquête doivent-ils réellement être jetés aux orties ?
Surtout, à quel niveau se trouve finalement le taux de chômage ?
Y a-t-il eu ou non une reprise de l’emploi et une baisse du chômage depuis 2005 ? »
Puis il tente d’y apporter avec rigueur quelques réponses.
Des effets administratifs
Il constate que la « baisse a été amplifiée par des problèmes affectant (les) statistiques administratives. »
D’abord, « les changements des règles d’indemnisation ont modifié les comportements d’inscription des chômeurs. (…) la durée d’indemnisation de la filière principale de l’assurance chômage a finalement été réduite de 30 à 23 mois pour les demandeurs d’emploi inscrits à partir du 1er janvier 2003. De ce fait, une partie des demandeurs d’emploi arrivant en fin de droit a pu cesser de s’inscrire en 2005. »
Mais il conviendra, pour avoir une véritable mesure de cet effet, de déterminer avec précision l’évolution du comportement d’inscription des demandeurs d’emploi en fin de droit dés que les données seront disponibles. En effet, le nombre de sorties pour non-renouvellement peut être surestimé car « une partie des personnes concernées pourrait se réinscrire quelques mois plus tard et ne serait alors pas repérée dans la catégorie « Défaut d’actualisation suivi d’une réinscription ».
Ensuite, « La surévaluation de la baisse du chômage, issue des estimations mensuelles, s’expliquerait aussi par les radiations et reclassements effectués par l’ANPE, dans le cadre de la politique d’accompagnement des chômeurs impulsée depuis la mi-2005 par le gouvernement »
La règle des entretiens mensuels favorise les radiations, de même les délais plus courts dont disposent les chômeurs pour actualiser leur situation. Des demandeurs d’emploi à la recherche d’un CDI à temps plein sont plus rapidement reclassés dans la catégorie demandeur d’emploi occupant déjà un emploi…
Des effets démographiques
Depuis 2002, la population active augmente plus rapidement que prévu pour des raisons strictement démographiques mais aussi en conséquence de certaines mesures liées à la réforme des retraites.
Le taux de chômage étant le rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre d’actifs (TC = C / PA), pour un nombre de chômeurs donné, si la population active augmente plus vite, alors mécaniquement le taux de chômage diminue. Il peut donc y avoir baisse du taux de chômage (sans créations d’emplois), en vertu d’une accélération de la croissance de la population active.
En fait, en France depuis 2002, on observe une croissance de la population active potentielle supérieure à l‘augmentation de la population active observée. Cet écart traduit une sous estimation de la hausse de la population active.
Cependant, si le chômage et le taux de chômage diminuent davantage que ce qui est expliqué par l’évolution de la population active, c’est le résultat d’une croissance de l’emploi plus rapide. Nous reviendrons dans un instant sur cet aspect de l’explication.
En matière d’estimation de l’évolution de la population active, un autre problème se pose : il s’agit du décalage possible entre l’estimation statistique et l’estimation administrative.
On observe donc qu’en France, « en 2006, l’évolution de la population active observée à partir du dernier recensement et de la dernière enquête emploi (+ 166 000) semble en ligne avec les grandes tendances prises en compte dans les dernières projections de l’INSEE (…). En revanche, l’évolution de population active issue des sources administratives (– 47 000), notamment des inscriptions à l’ANPE, apparaît en rupture avec les tendances observées sur le passé. »
« De ce point de vue, le problème se situerait plus du côté des sources administratives que de l’enquête emploi. » nous dit l’économiste de l’Ofce. La mesure administrative sous estimerait la croissance de la population active.
En ce qui concerne les incidences de la réforme du système de retraite, les effets des retraites anticipées pour carrière longue (dispositif de la réforme Fillon pour les personnes ayant commencé à travailler à 16 ou 17 ans) et l’effet de la réforme du barème (allongement de la durée de cotisation nécessaire pour que la pension de retraite ne soit pas diminuée par la décote) permettent également d’expliquer la croissance de la population active.
Les créations d’emplois
Sur ce point, Matthieu Lemoine précise que « La décision de report du recalage a en fait été prise par l’INSEE en raison d’incohérences qui porteraient sur les créations d’emplois. »
Il y aurait, en effet, un important décalage au troisième trimestre 2006 en France entre l’évolution de la population active occupée (+ 130 000 en glissement annuel) selon l’enquête emploi de l’Insee et le nombre de créations d’emplois selon les sources administratives (+ 250 300), Acoss, Unédic, DARES et ANPE. Ce phénomène est logiquement analogue au précédent dans la mesure ou la population active occupée (par un emploi) est une composante de la population active.
« Selon l’INSEE, cet écart pouvait très partiellement provenir d’un taux de non-réponse en légère augmentation (21,5 % au troisième trimestre, contre 21,3 % un an auparavant). Toutefois, ces problèmes ne semblent pas plus marqués en 2006 qu’auparavant. » et « L’écart nettement plus important entre les deux sources n’avait pas conduit en 2004 à rejeter les résultats de l’enquête emploi. »
En fait, la situation du marché du travail s’est bien améliorée en 2006, notamment grâce à une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand (+ 158 800 en 2006, après + 72 800 en 2005) et la croissance des effectifs en contrats aidés du secteur non marchand (+ 16 000 en 2006, après – 53 000 en 2005).
Donc, si le taux de chômage diminue davantage que ce qui est expliqué par l’évolution de la population active, c’est le résultat d’une croissance de l’emploi plus forte. L’amélioration de la situation en matière de création d’emplois vient se cumuler à l’impulsion démographique pour expliquer la baisse du taux de chômage.
Des estimations trimestrielles préférables aux estimations mensuelles
Selon Matthieu Lemoine, « pour restaurer la confiance dans les statistiques du chômage, la solution (..) est de rendre plus clair le rôle central de l’enquête emploi ». ( …) « il faudrait que l’INSEE abandonne les estimations mensuelles fondées sur les statistiques de l’ANPE et publie à une fréquence trimestrielle un taux de chômage mesuré avec l’enquête emploi. »
De l’importance du halo du chômage
Dans un encadré, Matthieu Lemoine, nous rappelle que les critiques du collectif « Les autres chiffres du chômage » (ACDC) portaient aussi sur le caractère étroit de la définition du chômage au sens du BIT qui cacherait une grande partie de la précarité de l’emploi.
Ce type de critique n’est vraiment pas nouveau. L’auteur nous rappelle à juste titre un rapport publié en 1997 par des spécialistes reconnus de ces questions.
Dans le billet suivant « Urgences sociales et indépendance statistique », j’avais présenté en détail les différentes catégories répertoriées pas le rapport de R Castel, JP Fitoussi, J Freyssinet et H Guaino, « Chômage : le cas français », La Documentation française, 1997.
On remarquera quelques analogies entre la classification proposée par ce rapport en 1997 et celle proposée désormais par le collectif ACDC.
Enfin, on retrouve ce type d’approche du chômage ici : 15 % de chômeurs aux EU ?
En juin, le Centre for Economic and Policy Research (CEPR) a appliqué au cas américain la méthode employée en 2006 par le Mc Kinsey Global Institute pour ré-estimer le taux de chômage en Suède. Le résultat, spectaculaire, porte le taux de chômage américain de 5,5 % à 15,2 %.
Cinq populations sont ajoutées aux chômeurs BIT : les personnes aux marges de l’activité (chômeurs découragés), sous-employées (à temps partiel contraint), valides mais exclues de l’activité (préretraite et incapacité), en emplois aidés, incarcérées.
On en déduit, avec les réserves techniques et conceptuelles qui s’imposent, qu’un diagnostic complet de l’état du chômage ne peut plus se passer de ce type de mesure élargie du phénomène. Une médication plus adaptée ne peut s’appuyer que sur un diagnostic plus précis, plus représentatif.
Une plus grande transparence de l’information sur les statistiques du chômage, l’efficacité de la lutte contre le chômage et la cohésion sociale en dépendent.
A lire :
Lettre de L’Ofce, N°286 - 11/06/2007
David Mourey :
« Le Monde », le 20 juin 2007
« Le gouvernement veut faire la transparence sur les chiffres du chômage »
clair & net@ofce
Une e-contribution des chercheurs de l'OFCE aux débats économiques et sociaux
« Chômage : en attendant l’Insee », 13 février 2007
Avec le report à l’automne prochain des résultats de l’enquête emploi, la seule source pertinente pour mesurer le chômage, une polémique a enflé sur la réalité de sa baisse... Lire la suite >>
Jacques Freyssinet, « Note Lasaire »,
« Controverses sur les chiffres du chômage »février 2007
Eric Maurin
« Chômage : sueurs et contorsions au Conseil de la Statistique »