Un grand débat d’économie sur les enjeux de la dette publique a réuni, mardi 17 avril 2007 à 20 heures dans la salle Jacques BREL à Pontault-Combault. trois intervenants de très haut niveau. En effet, Michel PEBEREAU, Président de BNP-Paribas et Président de la commission qui a rédigé le rapport « Rompre avec la facilité de la dette publique », Jean PISANI-FERRY Directeur de BRUEGEL - Brussels European and Global Economic Laboratory et Xavier TIMBEAU - Directeur du Département Analyse et Prévision de l’OFCE sont venus débattre sur le sujet suivant : « LA DETTE PUBLIQUE ET LES GENERATIONS FUTURES » « LA DETTE PUBLIQUE ET LES GENERATIONS FUTURES »
De mon point de vue, un débat sur la dette publique est, au fond, un débat sur les positions respectives de l’Etat et du marché dans l’économie. Discuter de la dette publique, de ses causes et de ses conséquences, présentes et futures, doit nous conduire à réfléchir aux moyens de financer les dépenses publiques et les dépenses sociales à partir des impôts, des cotisations sociales et de l’emprunt public. Cette discussion nous amène également à envisager la question de l’investissement public en matière de recherche et développement, de progrès technologique... Ce débat nous conduit encore à considérer les modalités du financement des retraites, compte tenu du niveau d’endettement et du vieillissement de la population. Et tout cela, aussi bien au niveau de l’Etat central que des collectivités territoriales.
Le thème de la « dette publique » se trouve donc au cœur de nombreuses questions qui devaient être posées et discutées au cours de cette période propice aux débats démocratiques que fut la campagne des élections présidentielles.
Rompre avec la facilité de la dette publique
Selon Michel Pébereau, « la situation des finances publiques de la France, après 25 ans de déficit budgétaire ininterrompu, est très préoccupante. Il faut rompre avec la facilité de la dette publique afin de mettre nos finances publiques au service de notre croissance économique et de notre cohésion sociale. Compte tenu des conséquences négatives de cette situation sur les générations présentes et futures, nous devons agir sous peine de voir la situation se dégrader encore davantage. »
« Il n'y a aucune fatalité. Nous pouvons y remédier si nous prenons sans attendre les mesures nécessaires pour mettre fin à l'augmentation permanente de la dette. En l'espace de vingt-cinq ans, nous avons multiplié notre dette publique par cinq, et nous consacrons désormais aux intérêts de la dette l'intégralité du produit de l'impôt sur le revenu. Et à côté de cette dette figurent d'autres engagements dont il faut tenir compte, parmi lesquels celui qu'a l'Etat de payer les retraites de ses agents. Plus encore que le niveau, c'est la tendance qui est inquiétante. La France est le pays de l'Europe des Quinze dont le ratio d'endettement a le plus augmenté depuis dix ans. Nos administrations sont en déficit chaque année depuis vingt-cinq ans. Cette situation financière s'explique par le choix constant de la facilité. »
Premièrement, nous avons sans cesse reporté la modernisation de nos administrations. Les structures se sont multipliées et les instruments se sont empilés sans cohérence d'ensemble. Deuxièmement, la culture de la dépense s'est peu à peu substituée à la recherche d'une efficacité en profondeur de l'action publique. Chaque fois qu'un problème se pose, nous y répondons par une nouvelle dépense et souvent dans l'urgence. Les réponses de fond aux problèmes passent au second plan. Les préconisations de la commission ont pour objectif de répondre à ces deux problèmes. Leur grande force est d'avoir été le fruit d'une réflexion pluraliste. Nos propositions ne sont ni de gauche ni de droite. Elles sont dans l'intérêt de tous les Français. Elles permettront de renforcer notre capacité de croissance, d'assurer notre cohésion sociale et d'améliorer la qualité du service public. Notre rapport, adopté à l'unanimité des membres de la commission, cherche à dire la vérité sur les erreurs commises collectivement. Depuis vingt-cinq ans, nous avons sans cesse financé une partie de nos dépenses publiques par endettement. On ne peut plus continuer dans cette voie. Cela fragiliserait l'ensemble de notre économie et placerait nos régimes sociaux, auxquels nous sommes tous attachés, dans une situation très difficile. C'est pourquoi nous proposons que la remise en ordre de nos finances publiques soit désormais une priorité, et que notre pays atteigne cet objectif rapidement : dans cinq ans au maximum.
Dette publique, investissement public et dépenses de fonctionnement
Xavier Timbeau, sans nier le problème, montre qu’on ne peut mesurer rigoureusement la dette publique sans évaluer ses contreparties. Toute dette permet l’accumulation de capital, physique et humain, favorable à la croissance. La dette par habitant est un indicateur assez « pertinent » dans la mesure ou il est plus facile pour chacun de nous de percevoir l’ampleur de la dette publique sous cet angle (20 000 euros de dette par habitant environ), quand le montant global de cette dette oscille entre 1,2 et 2 milliards d’euros. Mais il remarque qu’on peut faire peur aux français en agitant de tels chiffres (ceux de la dette publique) dans les medias, mais il se demande pourquoi on ne présente pas en parallèle les chiffres concernant l’actif de l’Etat.
Pour Xavier Timbeau, il conviendrait de donner un grand frère à la dette publique par habitant car en comparaison de l’actif moyen par habitant (environ 200 000 euros), la dette publique par habitant est 10 fois plus faible. Autrement dit, si chaque nouveau né se trouve immédiatement endetté à hauteur de 20 000 euros, il se trouve simultanément « propriétaire » de 200 000 euros d’actif.
Enfin, selon Xavier Timbeau la France dispose d’un formidable capacité à emprunter à des taux d’intérêt très bas pour investir vers l’avenir, ce qui représente une opportunité, et il ajoute d’autre part, qu’une bonne moitié des dépenses de fonctionnement en direction des fonctionnaires de l’éducation nationale (versement des salaires aux fonctionnaires) pourrait être comptabilisée en investissement tant ce qui se passe à l’école relève de l’investissement collectif et de la préparation de l’avenir des générations présentes et futures.
Compter sur la bonne volonté des dirigeants ne suffit pas
Jean Pisani-Ferry, conscient de l’ampleur de la dette, insiste sur la nécessité d’inventer des mécanismes institutionnels (code de responsabilité budgétaire) permettant une meilleure gestion des finances publiques. On ne peut s’en remettre à la bonne volonté de nos dirigeants politiques.
« Le débat sur la dette publique est indispensable et le rapport de Michel Pébereau sur l'endettement public pose la question avec une précision clinique. Le rapport expose l'état alarmant de nos finances publiques. Il démontre que la progression continue de la dette des administrations est, à terme, insoutenable et explicite les efforts nécessaires pour en recouvrer la maîtrise. Il établit que l'addiction à l'endettement n'est pas due à la volonté de soutenir la conjoncture mais à l'habitude de tenir la taxation des générations futures pour une ressource additionnelle. Il détaille comment l'enchevêtrement des responsabilités territoriales nourrit la propension à la dépense. La pertinence de ces constats est irréfutable. »
« Ses recommandations restent cependant empreintes d'un étonnant classicisme. Le remède proposé — bannir, pendant cinq ans, hausse des dépenses et baisse des prélèvements — est certes d'une rigueur sans précédent mais la méthode laisse perplexe. Si l'observation de nos pratiques de gestion publique livre en effet une leçon, c'est que l'exhortation à la raison ne suffit pas. Les mauvaises habitudes ne se guérissent pas avec de bonnes résolutions. »
« Retrouver la maîtrise des finances publiques exige donc davantage qu'un effort prolongé. Il y faut des comptes, de nouveaux principes et des nouvelles institutions. »
« Les comptes et les indicateurs ne sont pas neutres, ils orientent l'action. En focalisant l'attention sur le déficit, on fait passer au second plan la dette, dont on facilite ainsi une dérive subreptice. En retenant une norme de dette brute, on incite les Etats à la réduire en vendant des actifs — ce sont les fameuses privatisations —, quitte à s'appauvrir. En ignorant les engagements implicites au titre des retraites, on n'incite pas à conduire les réformes, souvent coûteuses dans un premier temps, qui assureront leur financement. L'observation des évolutions européennes montre que ces effets sont avérés. »
« Il importe donc que les décisions se prennent sur la base d'une comptabilité étendue. Il est urgent de fixer des normes pour des comptes de patrimoine des administrations publiques incluant aussi bien de tels engagements qu'une mesure de l'actif net des administrations publiques. »
« Le Royaume-Uni s'est doté d'un "code de responsabilité budgétaire" qui fixe l'objectif d'une stabilité du ratio de dette sur l'ensemble du cycle économique, et exclut que le déficit finance autre chose que des investissements. Les Britanniques, qui ne sont pas partie prenante au pacte de stabilité, se sont ainsi donné un pacte national qui concilie discipline de moyen terme et gestion active de la conjoncture économique. Un tel cadre n'interdit pas des décisions discrétionnaires mais oblige à les justifier au regard des objectifs que la puissance publique s'est donnée. Il favorise doublement la croissance : parce qu'il évite une dérive des finances publiques et parce qu'il permet de soutenir la conjoncture en période basse. »
« En France, le ministère des finances choisit les prévisions économiques sur lesquelles le budget est établi, chiffre le coût des mesures nouvelles ou des baisses d'impôt et dresse les comptes. Ce cumul de fonctions place régulièrement le ministre en conflit d'intérêts avec lui-même. Ailleurs, il y a été mis fin : en Belgique, le ministre n'a pas le choix des prévisions économiques ; aux Etats-Unis, le Congrès a pris le leadership sur l'évaluation des recettes et des dépenses. Il faut avancer dans cette direction, d'une part, en retirant au ministre la responsabilité directe des prévisions, d'autre part, et surtout, en confiant à un organisme indépendant l'évaluation budgétaire ex ante, le suivi de la situation des finances publiques — y compris pour les engagements hors bilan — et l'évaluation ex post. Si la responsabilité des institutions politiques est et doit rester la décision, leur conserver celles de la prévision et de l'évaluation les soumet en permanence à des tentations inutiles. Instaurer une claire séparation entre ces fonctions contribuerait à rendre au ministre des finances français une crédibilité européenne largement entamée. Il y perdrait peut-être un peu de pouvoir, mais gagnerait, certainement, de l'autorité. »
A consulter :
Michel PEBEREAU
Président de BNP-Paribas
Président de la commission qui a rédigé le rapport
« Rompre avec la facilité de la dette publique »
C'est possible ! Voici comment...
de Michel Pébereau, Bernard Spitz, Collectif, janvier 2007
La France face à sa dette préface de Michel Pébereau,
De Thierry Breton (Postface) , novembre 2006
Rompre avec la facilité de la dette publique :
Pour des finances publiques au service de notre croissance économique et de notre cohésion sociale de Michel Pébereau, janvier 2006
Jean PISANI-FERRY
Directeur de BRUEGEL
(Brussels European and Global Economic Laboratory)
L’Europe déclassée ? , avec Olivier Blanchard et Charles Wyplosz, Flammarion 2005.
Politique économique, avec Agnès Bénassy-Quéré, Benoît Coeuré et Pierre Jacquet, De Boeck, 2004
An Agenda for a Growing Europe (Sapir report), with Philippe Aghion, Giuseppe Bertola, Martin Hellwig, Dariusz Rosati, André Sapir, José Viñals, Helen Wallace, Oxford University Press, 2004.
L’Europe de nos volontés, avec Pascal Lamy, Plon-Fondation Jean-Jaurès, 2002, English version The Europe We Want, Policy Network, Londres, 2002.
La bonne aventure : le plein emploi, le marché, La Découverte, 2001
(Prix du livre d’économie 2001).
Xavier TIMBEAU
Directeur au Département Analyse et Prévision de l’OFCE
« L’état de l’économie française, analyse historique et prospective», avec Eric HEYER,
dans L'économie Française 2004-2005
« A la recherche du plein emploi », dans L'économie Française 2004-2005
« L’économie française depuis un demi-siècle», avec Eric HEYER, L'économie Française 2004-2005
« La position de la France en Europe », avec Mathieu Plane in l’Economie française, 2002.